9 ème Assemblée générale ordinaire
Venise
du 10 au 12 octobre 1963
Lettre aux hommes de culture pour la constitution de l’Association Mondiale de la Culture, votée à l’unanimité par la neuvième Assemblée générale ordinaire
La Société Européenne de Culture, au nom de laquelle nous avons l’honneur de vous adresser cette lettre, est née en 1950, à Venise. Elle rassemble aujourd’hui quelque 1500 hommes de culture : savants, écrivains et artistes, appartenant à une soixantaine de nations, prêts à confronter en pleine liberté et dans un esprit de confiance réciproque leurs différentes convictions. Ce qui unit ces hommes, c’est la certitude que la pratique du dialogue est le moyen, non seulement d’atteindre à une vérité théorique, mais encore de résoudre les problèmes suscités par la crise actuelle du monde.
En effet, la Société Européenne de Culture a pour but essentiel de contribuer à éliminer des relations politiques l’élément irrationnel qui a toujours permis de justifier le recours à la violence et à la guerre, mais dont la puissance destructrice des armes nucléaires nous oblige aujourd’hui à refuser la prétendue fatalité. Pendant ses douze années d’activité, au cours de ses Assemblées annuelles, lors de rencontres entre hommes de culture de l’Est et de l’Ouest, d’Europe et d’Afrique, dans les pages de sa revue « Comprendre », elle a poursuivi des études et des enquêtes sur la fonction politique et sociale de la culture. Ces travaux ont montré que l’influence de la culture sur l’évolution de la crise pourrait être déterminante, si tous les hommes de culture prenaient une juste conscience de leur responsabilité.
Aussi la Société Européenne de Culture juge-t-elle le moment venu d’attirer l’attention sur ses thèses et de solliciter l’adhésion de tous les hommes de culture à un projet que nous allons nous efforcer de vous exposer aussi succinctement que possible.
- À l’origine de cette initiative se trouve un fait historique grave, d’autant plus grave que les hommes sont généralement incapables de se le représenter avec assez d’évidence et de constance : nous voulons parler du risque pour l’humanité d’être entraînée dans une guerre catastrophique, après avoir été empoisonnée et épuisée par une préparation aussi dangereuse que coûteuse.
- Devant la faillite des nombreuses tentatives que de puissants gouvernements ont accomplies afin d’écarter ce risque, si l’on ne s’abandonne pas à l’idée que la civilisation est fatalement condamnée à périr, si l’on n’impute pas l’échec des États à une insuffisance foncière de la raison humaine, force est d’admettre la possibilité d’une autre issue. Mais où la chercher, cette issue, sinon dans la pensée agissante des individus et des peuples, dès qu’ils décident d’unir leurs énergies pour substituer aux formes politiques génératrices d’insurmontables rivalités internationales un ordre propre à assurer les conditions d’une coexistence universelle, faite d’harmonie et de coopération ?
- Cependant, la plupart des hommes, pour des raisons faciles à déceler, n’atteignent pas à une juste conscience de la réalité de la guerre, qu’ils considèrent souvent comme dépassant leurs possibilités d’action, voire d’entendement. Au surplus, il est vrai que la perspective d’un monde sans guerre ne se déduit pas des structures existantes, mais constitue un fait de culture, à savoir la réponse de l’esprit créateur à un problème auquel s’affrontent vainement les forces de la politique. C’est pourquoi le devoir de prendre l’initiative d’un effort pour mettre la guerre «hors l’histoire» échoit aux hommes de culture.
- Mais l’action des hommes de culture n’aura, de toute évidence, ni l’ampleur ni l’efficacité nécessaires pour opérer à elle seule une si profonde transformation, tant qu’elle ne s’organisera pas dans une vision cohérente des problèmes. Nous estimons donc que l’évolution de la crise justifie aujourd’hui, exige même, que les hommes de culture du monde entier forment ensemble un mouvement, qui pourra s’appeler Association Mondiale de la Culture, dont la tâche sera d’amener les peuples à se rendre compte qu’il leur appartient de créer les conditions politiques excluant tout recours à la guerre.
- Cette Association n’imposera aucune limite aux initiatives personnelles de ses membres. Ceux-ci pourront en maintenir les articulations aussi peu hiérarchisées et aussi souples qu’ils le voudront. La Société Européenne de Culture mettra ses organes à leur disposition pour leur permettre d’avoir entre eux tous les contacts utiles, pour faire connaître leurs efforts et les rendre plus efficaces. Ainsi donc, l’Association Mondiale de la Culture pourra remplir sa fonction dès sa naissance même.
- Le présent projet sera adressé au plus grand nombre possible d’hommes de culture, dans tous les pays et sans distinction d’aucune sorte. Les adhésions qui lui seront données auront valeur constituante, sans autres formalités. Elles seront rendues publiques par la revue Comprendre et par la presse. Le Secrétariat de la Société Européenne de Culture les communiquera périodiquement aux membres de l’Association et tiendra ceux-ci au courant de tout événement et de toute idée de nature à contribuer aux progrès de leur mouvement. Le même Secrétariat se chargera en outre d’informer l’opinion publique de tout ce qui peut l’aider à reconnaître les forces capables de délivrer l’humanité de la crise.
Si, comme nous le souhaitons, vous décidez d’adhérer à ce projet, vous voudrez bien nous renvoyer, remplie et signée, la formule ci-jointe, qui en résume l’idée fondamentale. Si vous aviez des réserves à formuler, nous vous saurions gré de nous les faire connaître.
En vous remerciant de votre attention, nous vous prions d’agréer, au nom de la Société Européenne de Culture, l’expression de notre haute considération.
Formule d’adhésion à l’Association Mondiale de la Culture, votée à l’unanimité par la neuvième Assemblée générale ordinaire
A LA SOCIÉTÉ EUROPÉENNE DE CULTURE,
VENISE.
Veuillez trouver ici ma réponse au projet que vous m’avez soumis par votre lettre du…
J’adhère à l’Association Mondiale de la Culture et je m’engage à déployer tous mes moyens de persuasion afin que ceux que je puis atteindre par mon œuvre et par ma parole soient amenés à rechercher dans les relations entre les peuples le respect mutuel, l’harmonie et la collaboration, contribuant ainsi à établir un ordre de choses d’où la guerre et sa notion même seront définitivement
bannies.
Signature de l’adhérent
Date