Le philosophe allemand Jürgen Habermas à Athènes, le 6 août 2013. LOUISA GOULIAMAKI / AFP
Le Monde.fr | 23.02.2014 à 12h39 • Mis à jour le 24.02.2014 à 10h47
Repolitisons le débat européen
par Jürgen Habermas
Notre époque se caractérise par une disproportion croissante entre une société mondiale en voie d’homogénéisation systémique et la fragmentation du monde des Etats, qui demeure inchangée. De graves problèmes en résultent. Des Etats intégrés avec les volontés et consciences de leurs citoyens sont les uniques collectifs capables d’agir efficacement en se fondant sur la formation de la volonté démocratique, et d’exercer intentionnellement une influence sur leurs sociétés.
Mais ces Etats s’empêtrent toujours plus profondément dans les rapports fonctionnels qui, à leur insu, se faufilent à travers les frontières nationales. Face aux conséquences politiquement indésirables de cette intégration systémique, un besoin de régulation se fait sentir, alors même que les Etats-nations se montrent toujours moins en mesure d’y satisfaire.
DÉFENSE DE L’ETAT-NATION
Les politiques et les citoyens ont conscience de cette perte de capacité d’action politique, et se raccrochent avec d’autant plus de véhémence à l’Etat-nation et à ses frontières, pourtant devenues poreuses depuis longtemps. Cette défense de l’Etat-nation est compréhensible d’un point de vue psychologique, mais elle est paradoxale.
La marge de manœuvre manquant désormais à l’Etat-nation ne peut en vérité être récupérée qu’à l’échelon supranational. Et c’est d’ailleurs bien ce qui se réalise sous la forme de la coopération interétatique : avec le nombre rapidement grandissant d’organisations internationales influentes, une forme de gouvernance, vantée, présentée comme une conquête, s’est entre-temps constituée, par-delà l’Etat-nation.
Mais ces traités internationaux se dérobent largement aux contrôles démocratiques. Une solution alternative réside dans la formation de communautés supranationales qui, si elles n’adoptent pas dans l’ensemble le format étatique, peuvent aussi satisfaire fondamentalement aux critères démocratiques de légitimation.
Parce que seule cette voie, que nous avons empruntée avec l’Union européenne, peut conduire à une trans-nationalisation de la démocratie, l’entreprise de l’Union européenne se justifie déjà pour des raisons d’auto-affirmation démocratique, contre les contraintes normativement inchangeables d’une société mondiale mise en réseaux sur le mode systémique.
POUR UNE RE-RÉGULATION EUROPÉENNE, CONTRE UNE DÉMOCRATIE DE FAÇADE
Le modèle de société européen déploré par tant de monde repose sur le rapport interne de l’Etat social et de la démocratie. Si la progression permanente, depuis deux décennies, de l’inégalité sociale (une tendance empiriquement prouvée pour les pays industriels), ne se laisse pas inverser, ce rapport se déchirera.
Cette dérive vers une scission de la société se combine d’ailleurs à une tendance alarmante, à une paralysie politique croissante, ainsi qu’à un désintérêt prononcé des électeurs appartenant la plupart du temps aux couches les moins favorisées, c’est-à-dire à l’effritement de la représentation égale de l’électorat et du spectre entier de ses intérêts.
Il n’est nul besoin de partager les prérequis marxistes pour reconnaître dans le déchaînement du capitalisme des marchés financiers l’une des causes décisives de cette évolution – et pour en conclure qu’il nous faut mener à bien une re-régulation du secteur bancaire mondial se donnant toutes les chances de réussir, et avant tout dans un territoire économique ayant au moins le poids et la taille de la zone euro.
Le bon fonctionnement des banques européennes, qui ne peuvent plus investir de façon rentable un capital virtuel hypertrophié, coupé de l’économie réelle, exige justement en premier lieu une solution européenne commune. Et mis à part les sacrifices évidents consentis dans les Etats en crise visés au premier chef par les mesures d’austérité, sacrifices dont nous savons déjà aujourd’hui l’ampleur, ce n’est qu’à la fin de la crise que nous pourrons identifier ses victimes, qui aura payé les pots cassés. Tout cela dépend aussi de la politique que nous choisissons aujourd’hui.
Toutefois, la poursuite de l’unification européenne peut se dérouler plutôt sur le mode défensif que sur le mode offensif. Dans tous les cas, elle ne peut plus s’appuyer sur ces visions émancipatrices relevant d’une sorte d’évidence intuitive qui avaient autrefois inspiré les changements constitutionnels européens – comme ces visions qui portent aujourd’hui les révoltes dans les pays arabes, est-européens ou asiatiques, où la colère bouillonne.
LES MANQUEMENTS DES ÉLITES POLITIQUES
Les peuples européens ont de bonnes raisons de vouloir une union politique. Mais la conséquence, consistant en un élargissement des « chapes » habituelles de leurs Etats-nations, afin de leur faire partager un échelon supérieur avec d’autres nations, ne relève pas du type d’évidence intuitive qui avait jadis porté le projet européen.
Claus Offe a décrit les « cas » dans lesquels le projet européen s’enlise entre les « contraintes économiques » et le « politiquement réalisable ». Cette situation de cul-de-sac est aussi une conséquence des manquements des élites politiques, de leur incapacité ou de leur refus d’associer en temps voulu leurs populations respectives au processus d’unification. Il est aujourd’hui tout particulièrement de la responsabilité des partis politiques et des médias de faire à ce sujet de l’éducation de rattrapage.
Je me limite à justifier la nécessité d’un changement politique par trois problèmes urgents, mais jusqu’à présent largement niés. Le gouvernement fédéral allemand a, depuis mai 2010, et de façon tout à fait vigoureuse, fait avant tout valoir la position semi-hégémonique de l’Allemagne en Europe.
Il a ainsi généré un effet déflagrant dans la politique intérieure européenne, qu’aucune rhétorique de l’apaisement ne vient juguler. En outre, la gestion de crise a conduit ces dernières années à une extension informelle des compétences du Conseil et de la Commission, qui aggrave de façon spectaculaire l’actuel déficit de légitimation de l’Union européenne, et provoque l’intervention de résistances nationales. Cette politique est véritablement inquiétante en ce qu’elle ne touche pas aux causes de la crise.
Le gouvernement fédéral, en raison de son poids économique et de sa puissance de négociation informelle, a imposé au Conseil européen les idées allemandes visant à surmonter les crises, des idées ordolibérales. Il a contraint les pays en crise à des « réformes » radicales, sans endosser la responsabilité, au niveau européen global, des conséquences plus que sévères de cette politique d’austérité manquant de tout équilibre en matière sociale.
SENTIMENT DE NORMALITÉ NATIONALE-ÉTATIQUE ALLEMANDE
Un changement de mentalité se reflète dans cette attitude à l’encontre de partenaires plus faibles. La réunification réussie de l’Allemagne de l’Ouest et de 17 millions de citoyens qui relevaient d’une toute autre socialisation politique, a en effet fait ressurgir un sentiment oublié, celui d’une normalité nationale-étatique allemande.
Cette restauration de couches plus anciennes de la conscience collective s’est superposée à un autre élément : la très grande importance que l’unification européenne avait pu revêtir pour les citoyens de l’ancienne République fédérale, qui avaient pu ainsi voir rétablie sa réputation internationale, alors politiquement et moralement détruite.
Toutefois, il n’est pas seulement ici question de style. Il en va de notre intérêt national de ne pas revenir à nouveau à cette « position semi-hégémonique » de l’Allemagne, qui a frayé le chemin à deux guerres mondiales, et que le processus d’unification européenne avait enfin permis de surmonter.
Sans un changement politique constatable à l’échelle de l’Europe entière, il ne faudra pas compter sur la bonne volonté de voisins que nous avons malmené à travers une politique de crise imposée de façon plus que cavalière.
Nous devons certes faire le premier pas en direction d’une coopération plus étroite, mais surtout montrer notre volonté de rendre structurellement dispensable le rôle dirigeant allemand, et montrer notre volonté d’entreprendre de concert avec la France de nouvelles initiatives, en bonne intelligence avec elle, sur un même pied d’égalité – tout en faisant preuve de correction à l’endroit des petits Etats.
PUR PRODUIT DE LA MÉFIANCE ALLEMANDE
Les marges de manœuvre de la Commission, du Conseil et de la Banque centrale européenne, entre-temps étendues sur le mode informel, doivent être l’objet d’une légitimation de rattrapage au regard de la situation créée par la gestion de crise. Il est ici question de plusieurs ensembles.
Dans tous les cas, le Parlement européen, y compris là où il était associé au processus législatif, n’a pris aucune part active au renforcement insidieux des compétences des organes de l’Union européenne.
Le pacte budgétaire du 2 mars 2012 est un traité de droit international passé entre les Etats-membres de l’Union européenne (à l’exception de la Grande-Bretagne). Cet étrange traité est un pur produit de la méfiance allemande : à fin de protection, il inscrit une fois encore dans les constitutions nationales des décisions de l’Union européenne prises de longue date au sujet des déficits et des niveaux d’endettement étatiques autorisés – s’accompagnant de sanctions en cas de non-respect.
Avec le Mécanisme européen de stabilité (MES), les membres de l’Union monétaire européenne se sont créés un instrument de financement destiné aux budgets étatiques en difficulté, mais les organes du MES ne sont pourtant soumis à aucun contrôle parlementaire. Car la forme du traité international ne permet aucune légitimation démocratique pour cette coopération approfondie.
Le tristement célèbre Six-Pack est entré en vigueur le 13 décembre 2011 avec l’assentiment du Parlement européen. Ces dispositions approfondissent la collaboration intergouvernementale avec pour objectifs la réforme du Pacte de stabilité et de croissance ; elles aménagent en outre un système de surveillance dédié aux déséquilibres macro-économiques.
MANQUE DE LÉGITIMATION
Les organes de l’Union européenne manquent de toute légitimation pour ces compétences étendues. En effet, la Commission peut désormais intervenir dans les programmations budgétaires étatiques, à titre préventif, à fin de contrôle, et afin d’y apporter des correctifs, alors même qu’elle n’est autorisée à cela que par le Conseil européen, tandis que le Parlement peut tout au plus en être informé, à condition d’en exprimer le souhait.
Enfin, le Parlement européen manque momentanément d’un organe susceptible de faire pendant au puissant Euro-groupe créé par le Conseil européen. Sans la formation d’un comité permanent des Etats non-membres de l’Union monétaire, le Parlement ne pourra même pas exercer correctement ses droits de contrôle, de toute façon bien trop faibles.
La division de l’Europe entre pays payeurs et pays bénéficiant de ces paiements incite fortement, dans les vies publiques nationales, aux accusations mutuelles et à la désignation de boucs émissaires. La perception réciproquement déformée de destins inégaux dans la crise jusqu’à l’obscénité a aussi été renforcée en Allemagne par une fausse interprétation des causes de la crise.
Car, la Grèce exceptée, la cause immédiate du surendettement des Etats fut l’évolution de l’endettement privé, et non, comme on le prétend, la politique budgétaire des gouvernements concernés. Mais c’est avant tout la manière de se focaliser sur la problématique des dettes étatiques qui explique le refoulement actif, jusqu’à aujourd’hui, dans la gestion de crise, des problèmes structurels fondamentaux.
Certes, la crise des dettes étatiques n’a pu être évitée que parce que la Banque centrale européenne a simulé de façon convaincante une garantie commune, c’est-à-dire cette souveraineté fiscale qui manque à l’Union – et ce en contradiction avec l’interdiction pesant sur elle de tout bail-out, de tout renflouement externe. Mais la responsabilité en matière de remboursement dont manque la Banque centrale européenne n’est pas le vice de construction essentiel de l’Union monétaire.
COMPLAIRE AUX INVESTISSEURS
Les spécialistes en économie politique attirent depuis longtemps l’attention sur les conditions suboptimales en vigueur dans la zone euro pour un espace monétaire commun. En raison des différences en matière d’économie réelle dans les balances courantes des différentes économies nationales, des taux d’intérêts uniformes donnent aux gouvernements de faux signaux. One size for all fits none (« Une même taille pour tous ne convient à personne »).
Sans un gouvernement économique commun, le gouffre séparant les capacités d’économies structurellement différentes ne cessera pas de s’élargir.
La ligne politique suivie par le gouvernement fédéral allemand a pour seul souci de complaire aux investisseurs. Elle prescrit aux Etats en crise, aux côtés des réformes nécessaires de l’administration et des marchés du travail, une politique d’austérité, et ce au détriment des salaires, des prestations sociales, des services publics et des investissements en matière d’infrastructures étatiques, de façon contre-productive.
Au lieu de cela, c’est au véritable vice de construction de l’union monétaire qu’est son absence d’union politique qu’il s’agirait de remédier. Sans les cadres institutionnels d’une politique fiscale et économique commune cohérente (ayant des conséquences pour une politique sociale commune), les déséquilibres structurels entre les différentes économies s’aggraveront.
La politique de consolidation vit du faux postulat selon lequel les Etats en crise seraient à même de rattraper, par leurs propres moyens, leur retard économique, dans une concurrence effrénée avec les Etats membres fondamentalement plus compétitifs qu’eux – alors même que la marge de manœuvre de leur politique fiscale et budgétaire se voit considérablement réduite…
Au lieu d’imposer des cahiers des charges aux gouvernements nationaux, et de traiter les citoyens d’une communauté démocratique comme des mineurs irresponsables, le Conseil et le Parlement européens ensemble devraient pouvoir décider des directives de la politique fiscale, économique et sociale.
CONTRE LA RADICALISATION DU CERCLE VICIEUX
La poursuite de la politique menée jusqu’ici ne peut qu’aggraver le cercle vicieux activé par les trois problèmes évoqués. Plus les compétences du Conseil et de la Commission s’étendent au fil de la mise en œuvre de la politique de consolidation, et plus la gouvernance menée derrière des portes fermées fait prendre conscience aux citoyens de la légitimation de plus en plus faible du poids grandissant de la technocratie – et plus le gouvernement fédéral se retrouve englué dans le dilemme de sa position semi-hégémonique.
Entre-temps, le remède de cheval imposé avec intransigeance, au prix de l’avilissement politique de peuples entiers, et de la dégringolade sociale de générations, de couches sociales et de régions entières, a ratatiné à ce point les économies des pays en crise que « les chevaux boivent à nouveau » : autrement dit, les investisseurs reviennent.
Mais, même si les investisseurs font leur retour, nous ne pouvons pourtant éluder plus longtemps les problèmes véritables. Il ne suffit pas d’asséner juridiquement et d’appliquer sur le mode technocratique le modèle politique de la consolidation. Qu’on prenne le problème par un bout ou par un autre, un changement politique impliquant des transferts de souveraineté par-delà les frontières nationales ne se fait que trop attendre.
Et cela est inconciliable avec cette fiction voulant que les Etats-membres restent souverains comme ils l’étaient auparavant. Le gouvernement fédéral allemand doit décider s’il lui faut proposer aux autres gouvernements de la zone euro, dans leur propre intérêt à long terme, une configuration nouvelle de l’Union monétaire, dès lors transformée en une Euro-union démocratiquement légitimée.
Seul le gouvernement fédéral est à même de prendre l’initiative. Lui seul est en position de proposer à la France et aux pays du Sud de l’Europe, où un renoncement à la souveraineté et une intégration approfondie ne soulèvent pas non plus l’enthousiasme, une solution aussi bien politique qu’économique.
LE PUR PRODUIT D’UNE ÉLITE
Naturellement, un processus très long et difficile ne pourrait débuter par ce seul signal. En outre, le signal en question ne serait digne de foi que si l’on était disposé à quatre choses : accepter une Europe à deux vitesses ; renoncer à l’inter-gouvernementalisme ; aspirer à un système de partis européen ; et prendre congé de l’actuel modus operandi de la politique européenne, qui est le pur produit d’une élite. Prenons ces quatre points l’un après l’autre.
Les institutions actuelles de l’Union européenne devraient être différenciées de sorte que se constitue une Euro-union se montrant ouverte à de nouvelles adhésions d’autres Etats de l’Union européenne (et avant tout de la Pologne).
Une union disposant d’un cœur et d’une périphérie pourra donner suite, par exemple, aux desiderata britanniques d’une rétrocession de certaines compétences, aussi bien qu’à des désirs d’adhésion controversés (comme par exemple ceux de la Turquie), à la condition que cela soit possible dans le cadre des traités existants.
Mais une modification du droit primaire serait tout d’abord inévitable, au fil de la mise en œuvre d’un changement politique à décider avant tout au sein de l’Euro-groupe.
La méthode intergouvernementale, et sa préséance encore renforcée par la crise, devraient être définitivement mises au rebut au profit de la méthode communautaire. Martin Schulz, le président allemand du Parlement européen, travaille durement à cela, avec une grande force de persuasion.
Alors que la réunion des chefs d’Etat ou de gouvernement, dont la légitimité repose uniquement sur les élections nationales, est faite sur mesure pour la négociation de compromis entre de rigides intérêts nationaux, la formation d’une volonté politique dans un Parlement européen composé de groupes parlementaires rend possible un contre-balancement des intérêts nationaux par une généralisation des intérêts au-delà des frontières nationales.
DÉVELOPPER UN SYSTÈME DE PARTIS EUROPÉENS
Les très prochaines élections du Parlement européen offrent pour la première fois l’occasion d’une politisation de l’agenda, avec pour toile de fond une gestion de crise vivement controversée à l’échelle de l’Europe entière. Tout d’abord, des candidats communs peuvent, par-delà les frontières nationales, rendre visibles différents programmes – et de cette façon différentes possibilités de votes véritablement alternatifs.
Sans une telle politisation, les élections du Parlement européen ne peuvent absolument pas mériter le nom de scrutin démocratique – et une telle politisation n’a pas encore effectivement eu lieu. Un système de partis européens devrait pouvoir aussi se développer à partir de ces commencements-là.
Enfin, les élites politiques doivent cesser de couper leur politique européenne des électorats locaux, et cesser tout autant ce mélange populiste concocté à la maison, dont les ingrédients de base sont un dénigrement systématique de Bruxelles et une rhétorique du dimanche faite de propos aimablement favorables à l’Europe n’engageant strictement à rien.
En se défaisant de leurs routines, ces élites politiques pourraient structurer le combat des opinions, non pas simplement à la remorque des instituts de sondage, mais avec pour objectif premier de former résolument des opinions publiques. Car, jusqu’à présent, les vies publiques nationales sont dans l’ensemble faites de préjugés au sujet de « Bruxelles », et non de solides opinions informées, capables de rivaliser les unes les autres avec sérieux.
Nous avons en Europe des populations intelligentes, et non le genre de fictions politiques sentimentales dont le populisme de droite aimerait nous persuader qu’elles existent. Pour une démocratie supranationale demeurant ancrée dans des Etats-nations, nous n’avons besoin d’aucun peuple européen, mais d’individus éclairés, ayant appris qu’ils sont à la fois, réunis en de mêmes personnes, citoyens d’un Etat et citoyens européens.
Ces citoyens peuvent tout à fait, en participant à leurs vies publiques nationales respectives, participer à une formation de la volonté politique à l’échelle de l’Europe entière. Pour cela, nous n’avons besoin de rien d’autre que des vies publiques nationales existantes et des médias existants.
Tandis que les télévisions et les journaux nationaux rendent compte des débats à l’œuvre dans chacun des autres pays au sujet de thématiques pertinentes et concernant l’ensemble des citoyens de l’Union, les vies publiques nationales s’ouvrent les unes aux autres.
Traduit de l’allemand par Frédéric Joly
Philosophe. Né en 1929, il a dirigé l’Institut de recherche sociale à Francfort-sur-le-Main (Allemagne) en prenant la suite de Theodor Adorno jusqu’en 2001. Théoricien de l’« éthique de la discussion » et du « patriotisme constitutionnel » –l’attachement à la démocratie au-delà de la nation–, il intervient régulièrement dans la presse allemande et internationale en faveur de la construction européenne. Auteur de très nombreux ouvrages, il a notamment publié « La Constitution de l’Europe », Gallimard, 2012.