L’UNIVERSEL
Par Claude Brulant
Angers, le 29 juin 2022
À voir le nombre de publications, ce sujet est d’actualité. Cependant la question de l’Universel était déjà au cœur des préoccupations de la SEC, dès sa création en 1950. Le N°1 de la revue Comprendre porte ainsi sur la nécessaire universalité de la culture. Or aujourd’hui l’humanité en ce qu’elle comporte d’Universel, est menacée par la dictature des émotions, l’agressivité des identités.
Face à ces menaces, il faut défendre la raison scientifique, l’éthique de l’égalité et de la réciprocité, la capacité dialogique de l’homme. Je traiterai successivement des modalités de l’Universel, du délabrement actuel de l’Universel et enfin de sa restauration.
I Les modalités de l’Universel
La philosophie a entre autres pour sujet de dire l’Universel ; je me bornerai à quelques généralités sur un sujet si vaste et complexe.
En effet la philosophie a dégagé des critères d’Universalité : en réalité on observe plutôt une pluralité d’Universels qui entrent en conflit ; dès qu’un Universel apparaît il suscite un autre Universel concurrent. Plus un discours est totalisant (discours de la foi, de la raison) plus il s’expose au surgissement d’un discours opposé, négateur (libéralisme/communisme par exemple). D’une manière générale tout Universel est hégémonique et son mode d’expression est idéologique. L’Universel est conflictuel et paradoxal par nature.
Cela est si vrai que l’unité et l’universalité de la culture à laquelle nous tendons est au cœur des conflits humains. Alors que l’unité de l’humanité s’impose dans les consciences (la facilité des communications ; les réseaux sociaux), elle recule dans les représentations. En effet toutes sortes de radicalités politiques, religieuses, ethniques veulent l’emporter. En outre l’Universel est accusé de toutes parts : il nierait les différences, il ne serait que le masque du plus fort, du patriarcat, de l’Occident. Telle se présente la question de l’Universel.
II Un Universel délabré
Une civilisation se veut généralement universelle. Or aujourd’hui les piliers de la civilisation que sont la vérité scientifique, l’éthique, l’esthétique sont mis à mal. Passons en revue ces questions de la manière la plus simple :
- La recherche de la vérité et le postulat de son affirmation sont contestés par les fake news d’usage malheureusement courant ; il y a deux ans environ nous avons traité de ce sujet ici même et de ses graves conséquences en politique comme par exemple on l’a vu sous la présidence de ce maître des fake news qu’était Donald Trump. Le recours aux fake news est la négation même du dialogue, de la tolérance.
- La morale est également malmenée dans notre monde surtout de la finance ; ne parle t-on pas d’une économie de casino par exemple ? La corruption gangrène aussi nombre de pays.
- La beauté qui est en principe l’idéal de notre esthétique est de même mise en question par les comportements des magnats du business du supposé art quand le paraître, la marchandisation de l’art prévalent. Nous avions étudié aussi lors d’une réunion de la SEC à Paris cette question de la marchandisation de l’art.
Ces atteintes contemporaines à la raison, à l’éthique, à l’esthétique ébranlent l’édifice civilisationnel et dénient la dignité humaine.
Au respect d’un Universel commun qui devrait caractériser notre monde, se substitue aussi une concurrence des récits ; ceux omniprésents des empires, autant de récits simplificateurs, réducteurs et dominants ; citons les :
- Le récit de l’empire chinois fondé sur la discipline, une forte solidarité, une grande ambition celle de devenir la première puissance mondiale (caractérisée par l’extension de son influence, les routes de la soie, le conflit permanent avec les Etats Unis, une politique philanthropique envers l’Afrique pour se faire « pardonner » la répression intérieure et la politique vis-à-vis de Taiwan et de Hong Kong)
- Le récit russe où le Kremlin frustré depuis la chute de l’URSS est l’inventeur d’un grand récit national dans le souvenir de la grande guerre, au prix d’une propagande éhontée et d’une répression violente jusqu’à la guerre d’agression en Ukraine.
- Quant aux Etats Unis qui demeurent la première puissance mondiale, ils n’ont pas cependant bien que vainqueurs de deux guerres mondiales et de la guerre froide, réussi à définir un ordre mondial ; la politique étrangère des Etats Unis est souvent incohérente et le pays n’a jamais été aussi fracturé.
Enfin l’Europe, légataire de la civilisation occidentale, elle est toujours à la recherche d’elle-même et manque d’une réelle puissance (manque de solidarité, de coordination, budget européen insuffisant, États membres illibéraux, le mauvais coup du Brexit, absence de politique de défense). Cependant à la faveur des crises récentes du Covid comme de la guerre d’Ukraine, l’UE a accompli des progrès remarquables (la mutualisation des dettes et le soutien inconditionnel à l’Ukraine par exemple).
III La restauration de l’Universel
Il n’y aura de véritable épanouissement de l’homme qu’au sein d’un Universel rétabli dans ses principes et ses valeurs du moins pour l’Occident : l’usage de la raison, de la capacité dialogique, de la référence éthique, du pluralisme. De plus face aux défis climatique et de sécurité, seule une approche universaliste s’impose.
C’est par une politique de la culture que l’on pourra tenter de parvenir à ce nouvel Universel…